Sénat : Françoise LABORDE, est intervenue sur la proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique

laborde_francoise08031rMme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon le psychanalyste Serge Tisseron, spécialiste de la télévision et de ses effets sur le comportement, « dans une société démocratique, tous les citoyens sont censés connaître le registre des messages qu’ils reçoivent. […] Les adultes parviennent très bien à les repérer, mais les enfants ne repèrent pas ces distinctions avant 6-7 ans. Du coup, ils reçoivent les messages publicitaires au même titre que […] des informations. Ils sont trompés sur la nature réelle des messages qui leur sont donnés. »

La proposition de loi de notre collègue Gattolin, adoptée il y a un an par le Sénat puis en janvier 2016 à l’Assemblée nationale, contre l’avis du Gouvernement, vise à réglementer la publicité dans les programmes jeunesse. Elle tend également à amoindrir la force des messages commerciaux à destination des enfants, cœur de cible particulièrement vulnérable des publicitaires !

À cet effet, l’article 2 supprime la publicité commerciale durant les programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, ainsi que pendant les quinze minutes qui les précèdent ou qui les suivent. De plus, l’article 1er de la proposition de loi prévoit une régulation –certes très modeste ! – de la publicité dans les programmes jeunesse sur les chaînes privées, au travers d’une réglementation, par un décret en Conseil d’État, des messages publicitaires diffusés.

Un regrettable constat fonde la nécessité de cette proposition : la publicité abuse les enfants à un âge où ils sont dans une relation surtout affective avec les marques et ne comprennent pas leur nature commerciale. Des études ont ainsi montré que la publicité à destination des enfants a une incidence néfaste sur leur développement, pouvant engendrer un comportement prescripteur, des préférences pour les aliments peu sains et causer des problèmes d’obésité. Ce sont les raisons pour lesquelles le Québec, depuis 1980, la Suède, depuis 1991, et la Norvège, depuis 1992, ont choisi d’interdire la publicité dans les programmes pour enfants.

De manière plus spécifique, Taïwan et le Mexique ont interdit en 2016 la publicité télévisuelle faisant la promotion de certains aliments à destination des enfants. Dans un objectif de santé publique, il est urgent de suivre les recommandations de l’OMS à cet égard, qui invitent à réduire à la fois l’exposition des enfants et la force des messages commerciaux.

Par ailleurs, la publicité fait parfois la promotion auprès des enfants de produits destinés aux adultes, comme le maquillage ou les vêtements, en véhiculant avec force des stéréotypes de genre. À cet égard aussi, le service public a un devoir d’exemplarité !

Enfin, concernant les publicités sur les sites internet des chaînes de télévision, des chercheurs ont montré que, à tout âge, l’enfant n’est pas en mesure de faire la différence entre le contenu publicitaire et le contenu du site. Est en cause la confusion des visuels entre la bannière publicitaire et le site, spécifiquement entretenue par les annonceurs. Il est donc de bon sens que la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse des chaînes publiques françaises s’applique également aux sites internet associés.

Cette proposition de loi constitue une étape indispensable, mais il est nécessaire d’aller plus loin dans la protection des enfants contre la force de persuasion de la publicité. Il faut lutter activement contre la confusion entretenue par le marketing ciblé sur les enfants entre la fiction et la publicité, qui fait obstacle au développement de leurs facultés naissantes d’exercice de leur pensée.

Premièrement, il s’agit de veiller à la bonne application des textes existants. Par exemple, le décret du 27 mars 1992 confie au CSA le soin de veiller au respect des modalités d’identification et d’insertion des écrans publicitaires, qui doivent être aisément identifiables au sein des programmes, ce qui n’est pas le cas : les indicatifs publicitaires sont trop courts pour permettre une réelle séparation entre les publicités et le reste du programme, et la continuité des codes visuels et sonores contribue à masquer les transitions entre différentes parties du programme.

Deuxièmement, malgré l’interdiction de la publicité clandestine en France, il serait souhaitable de contrôler plus rigoureusement les programmes de fiction proposés aux enfants, trop souvent envahis, directement ou indirectement, par des références à des marques et des discours de consommation.

Troisièmement, pour aller plus loin, il pourrait être envisagé de mettre en place des dispositifs neutralisant les techniques de frappe du marketing ciblé sur les enfants, que ce soit dans la publicité à la télévision ou ailleurs. L’exemple de la BBC, qui a interdit aux présentateurs des programmes jeunesse de ses chaînes d’apparaître dans une publicité sans accord préalable, illustre ce qui pourrait être fait pour réduire la force des messages publicitaires. En effet, leur impact sur le public vulnérable que constituent les enfants tient à l’utilisation de techniques marketing éprouvées, comme le recours à des célébrités ou à de fausses allégations nutritionnelles et de santé.

Il est possible et souhaitable, en suivant l’exemple britannique, de réduire la force de ces messages, comme nous enjoint d’ailleurs de le faire l’OMS.

La suppression de la publicité pendant les programmes nationaux de télévision destinés aux moins de douze ans, ainsi que durant quinze minutes avant et après la diffusion de ces programmes, nous paraît donc une mesure particulièrement utile pour protéger les enfants d’une publicité qui, je le répète, les abuse.

Ainsi, comme en première lecture, aucun des membres du RDSE ne s’opposera à l’adoption conforme de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

 

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